Je suis parti au bout du monde, un temps isolé sur une île, sans eau courante, ni électricité. Impressions.
Immersion dans un monde sans éclairage
À contre-courant
Voilà maintenant plusieurs heures que nous naviguons sur la plus haute étendue d’eau navigable du monde, le Lac Titicaca au Pérou. Nous apercevons enfin ce bout de terre dressé qui nous accueillera pour notre prochaine étape : l’île Amantani sur laquelle nous débarquons.
Les sentiers battus sont derrière nous. Le bateau s’éloigne, les groupes se séparent, l’atmosphère devient calme, sans bruit, déroutante, reposante. On ressent dès lors un vrai décalage de styles de vie. Une gène s’installe un temps, elle laisse place à la timidité, la découverte et l’immersion.
L’île n’est pas électrifiée, hormis quelques maisons autour de la place du village qui bénéficient de ce rare service. Les habitations en pisé ne sont pas toutes raccordées à l’eau courante. L’absence d’électricité crée une atmosphère particulière qui nous éloigne rapidement de tous les objets envahissants et communicants qui nous entourent.
Nouvelles perceptions
Le rapport au temps, aux autres et à l’espace devient différent. La rencontre autour d’un maté devient notre moment d’échange privilégié direct et sans filtre ; le panorama incroyable depuis le sommet de la Pachamama (montagne la « terre mère ») notre unique grand écran. Nous apprécions désormais les choses les plus essentielles et élémentaires qui nous entourent.
Du haut de la montagne à 4 100 m d’altitude on contemple le coucher du soleil. L’instant est magique, méditatif, l’expérience est unique. Les derniers reflets rougeoyants laissent peu à peu place à une voûte céleste d’une incroyable et rare clarté. L’absence de toute pollution lumineuse permet ce spectacle. Au loin s’illumine à l’horizon Puno, le plus grand port Péruvien du lac. Ces lumières nous raccrochent du monde que nous connaissons mais qui nous parait soudain si loin.
Le soleil pour seule horloge
Le rythme de vie est conditionné par le soleil. Le cycle du sommeil n’est ici pas perturbé par toutes ces activités, occupations et distractions permises par la lumière artificielle et les écrans qui retardent toujours de plus belle l’arrivée de Morphée. On se lève à l’aube, dès 5h, pour démarrer ses occupations dès les premiers rayons du soleil et les termine avant le couchant. Les habitants ne se déplacent qu’exceptionnellement après la fin du crépuscule. Si l’on doit rentrer de nuit, on anticipe en n’oubliant pas sa lampe de poche ou lampe frontale. Elle sera très utile pour déjouer les pièges des chemins caillouteux au profil irrégulier.
Les soirées sont courtes. Elles se passent en famille. Les repas sont préparés dans la pièce de vie qui fait office de salon, salle à manger et cuisine lorsque le réchaud à bois qui sert à la cuisson des plats est dans l’habitation. Le dîner pris, on veille quelques temps à la lueur d’un tube fluorescent émettant une lumière blanchâtre alimenté sur batterie puis, on se couche, assez tôt, vers 20h 21h.
Conditions de vie
Peut-être idéalisée par les occidentaux qui ne connaissent pas le manque – sauf peut-être celui d’un équilibre personnel et sociétal – la vie sur un territoire isolé dépourvu de tout confort moderne n’est ni facile ni idyllique. La pauvreté est omniprésente, les conditions de vie subies. Le quotidien s’apparente bien plus à de la survie qu’un choix de vie. Une vie que l’on hérite mais qu’on ne choisit pas. Les journées sont dures, les plaisirs sont simples. Pourtant harmonie et apaisement semblent régner.
On grandit ici de génération en génération. Seuls les hommes de certaines familles – pères et fils – quittent l’île pour aller travailler soit en ville sur « le continent », soit sur le lac comme pécheur ou navigateur. Les femmes restent sur l’île et s’occupent des récoltes ou des élevages lorsque les hommes sont absents ; elles produisent des vêtements avec de la laine d’Alpaga qu’elles filent, tissent et vendent aux promeneurs sur les chemins qui parcourent la montagne ; elles entretiennent leur foyer et participent à l’éducation de leurs enfants lorsqu’ils ne sont pas à l’école.

Lumière
Éclairage public
La place centrale du village est éclairée au moyen de 4 luminaires d’éclairage public, un dans chaque angle. Chacun alimenté par un panneau photovoltaïque. Le stade de football en est également pourvu. L’éclairage permet ainsi de prolonger un temps la vie en début de soirée. Quelques habitants se regroupent sur la place pour discuter ou fréquenter les petits commerces de la place qui sont encore ouverts. Un point lumineux du même type veille également sur l’embarcadère.

Habitations
Les habitations sont pour la plupart équipées d’un petit réseau électrique alimenté sur une batterie 12V. Certaines possèdent un panneau solaire qui permet de les recharger en énergie. Dans les principales pièces est installée une lampe fluo-compacte ou une petite réglette équipée d’un tube fluorescent qui fournit une lumière douce et blanc froid. On se déplace avec une lampe de poche ou frontale bien plus pratique pour faire les tâches tout en ayant les mains libres.

(crédit photo : © 2014 Daniel Korzeniewski)
La fin de l’obscurité
Les poteaux s’érigent, les raccordements arrivent, les luminaires fleurissent, les câbles tissent leur toile. L’électricité arrive enfin. La fée parviendra-t-elle à chasser cette précarité et gommer les difficultés du quotidien ?


Ce nouveau réseau électrique n’est pas encore alimenté mais il améliorera à coup sûr les conditions de vie de ces foyers isolés. Avec électricité viendra cette lumière qui baignera toute l’île. Elle permettra aussi le développement économique du territoire avec l’accroissement du tourisme qui exige un minimum de services, de biens et de confort. Un pas de plus sera franchi vers l’agitation et le destin du monde que l’on connait, avec ses progrès mais surtout ses excès. Cette énergie viendra-t-elle bouleverser durablement l’équilibre qui s’y est installé ?
